vendredi 29 mai 2009

Taking Back Sunday - New again


Tout le monde connaît Taking Back Sunday. Un premier album classé parmi les classiques du genre, un deuxième qui les place dans les hauts rangs de la scène et un troisième sous forme de succès commercial, le groupe de Long Island ne nécessite aucune présentation. Comme son nom l'indique, leur quatrième album marque un nouveau départ pour le groupe. C'est un nouveau Taking Back Sunday à qui nous aurons désormais affaire.

Le départ à l'automne 2007 de Fred Mascherino a fait grand bruit et reste un tournant majeur dans l'histoire du groupe, lui qui n'avait pourtant rejoint l'aventure qu'à l'occasion de leurs débuts en major en 2003. La chanson 'Capital M-E' lui est consacrée et le moins que l'on puisse dire, c'est que les deux parties ne se sont pas quittés en bons termes, comme on avait déjà pu le constater dans les interviews données par les principaux concernés. «The nicest man I ever met was more malicious than malcontent / Yeah he taught me how to hold my tongue / And wait to strike 'til their backs were turned / And you slither away like the snake that you are». Véritable règlement de comptes, la chanson est un peu à l'image de ce nouvel album: une composition sympathique, quelques arpèges intéressants (tellement calibrés radio qu'ils rappellent Coldplay sur ce titre) donnant un semblant de consistance à un refrain simple et une performance vocale bonne mais sans surprise d'Adam Lazzara.
La première erreur du disque se trouve dans son tracklisting. Les deux titres les plus catchy ont été placés au début et les deux autres les plus créatifs relayés en toute fin, ce qui fait que l'on ressent un certain passage à vide autour de la moitié de l'album. On retrouve le son plus conventionnel et easy-listening de 'Louder now' sur des titres comme 'New again' et 'Lonely, lonely'. Les riffs sont puissants, la batterie rapide, c'est dans la totale continuité de l'album précédent. 'Carpathia' est certainement le titre le plus heavy du titre, les excellentes mais bien trop rares interventions vocales du bassiste Matt Rubano et du nouvel arrivant Matthew Fazzi donnant ici un nouveau souffle aux couplets et servant encore davantage le chant de Lazzara. On trouve également sur ce titre ce qui semble être le premier (mini) solo de basse de l'histoire de Taking Back Sunday! Le meilleur moment du disque se situe à sa toute fin, 'Everything must go' expérimentant un peu plus de sonorités, avec une excellente intro en deux temps, un refrain ambitieux et un rythme progressif se concluant sur un épique sursaut de riffs.
Le reste est très «radio-friendly», de la ballade typique à la U2 'Where my mouth is' au facile single 'Sink into me' faussement énergique ramenant Taking Back Sunday au niveau de ses vulgaires outsiders malgré les changements de rythme amenés par les sursauts de folie de Lazzara. L'ensemble reste instrumentalement bon mais assez répétitif et peu mémorable. 'New again' manque dans sa globalité d'intensité et de créativité. On ne peut pas dire qu'Adam n'ait pas essayé, faisant beaucoup d'efforts pour insuffler de l'énergie par son chant toujours aussi divertissant et particulier mais un peu plus faible que par le passé. Il semble avoir mis beaucoup dans cet album, notamment au niveau des paroles, où il s'étend sur de nombreux sujets personnels, de Mascherino ('Summer man') à son divorce avec Chauntelle DuPree d'Eisley ('Everything must go') ou encore ses addictions passées ('Where my mouth is'). Sur cette même chanson on peut également pour la première fois l'entendre s'exprimer sur la «mort» du Taking Back Sunday des débuts (John Nolan et Shaun Cooper ayant quitté le groupe en 2003 pour former Straylight Run, Eddie Reyes est aujourd'hui le seul membre originel restant) et son implication dans cette séparation: «And now I'm staring at the floor / Where my second life just ended / Where I lost not one, but two friends [...] See, I had it all / But I threw it away / Just to prove that I could».

C'est un passage intéressant par le fait que pour beaucoup, Taking Back Sunday s'est autodétruit après le départ de Nolan et Cooper et ne sortira jamais un album à la hauteur de 'Tell all your friends'. Et pourtant, le groupe avait annoncé un retour à ce son-là peu avant la sortie de 'New again'. Une déclaration qui ne méritait certainement pas d'être faite, tant le Taking Back Sunday d'aujourd'hui tranche avec celui du premier album. Le son «brut» des deux premiers disques est définitivement enterré, remplacé par un polissage intensif du chant et des instruments qui enlèvent toute la saveur d'un groupe ayant le potentiel de celui-ci. Sur 'Louder now', ça fonctionnait, mais ici la dynamique du double chant manque terriblement, elle qui était un peu la marque de fabrique du groupe. Fazzi n'est pas un Mascherino II, laissant à Lazzara le monopole du chant, nous faisant regretter les savoureux changements de rythmes orchestrés par les incessants relais entre sa voix et celle de Fred.
'New again' paraît ainsi bien fade face à ses prédécesseurs. Ce n'est peut-être pas un mauvais album, mais c'est de loin le plus faible de Taking Back Sunday qui nous livrent par la même occasion la moins bonne chanson qu'ils aient jamais écrite, en la personne de 'Cut me up Jenny'. C'est certainement le moment pour une génération de fans de passer la main à une autre.

Recommandé si vous aimez:
The All-American Rejects, Armor For Sleep, My Chemical Romance

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www.myspace.com/takingbacksunday
(Warner Bros. Records, 2009)

mardi 26 mai 2009

The Dangerous Summer - Reach for the sun


Un groupe tirant leur nom d'un roman d'Hemingway peut-il réellement être mauvais? Ce n'est en tous cas pas le cas pour The Dangerous Summer. Le quatuor du Maryland nous avait offert un des EP's les plus prometteurs de 2007 avec 'If you could only keep me alive' et sortent aujourd'hui leur premier album.

Produit par Paul Levitt qui a, entre beaucoup d'autres, travaillé avec Dashboard Confessional et All Time Low, 'Reach for the sun' est plus proche de la simplicité touchante des premiers que des tubes pop-punk des seconds. L'album est catchy mais pas sur-fait, sur-produit ou trop sucré. Les enchaînements entre les chansons sont fluides et les refrains ne coupent pas brutalement avec le reste des compositions, ne limitant pas l'intérêt des titres à quelques secondes de mélodie. Les chansons sont de qualité et ont été soignées dans leur ensemble, ne vivant pas qu'à travers leur refrain. The Dangerous Summer naviguent entre énergie pop-punk ('Surfaced'), compositions pop-rock ('Weathered') et mélodies alternative rock ('Where you want to be'), à la manière de leur influence Third Eye Blind. Les harmonies sont douces mais poignantes, à l'image de la magnifique 'This is war' qui figurera parmi les meilleures chansons de l'année. Les parties de guitares se ressemblent souvent mais ne rendent pas le disque redondant, au contraire elles lui donnent une forte homogénéité et régularité. On trouve un certain aspect «atmosphérique» dans les riffs et une meilleure dynamique dans le rythme de la batterie. Là où l'EP faillait, l'album réussit.
Le domaine où le groupe excelle est cependant celui du chant et des paroles. La performance vocale d'A.J. Perdomo est pleine de sincérité et d'émotion, sans pour autant s'approcher du gémissement agaçant. Il a une façon particulière d'attaquer certaines phrases qui fonctionne à tous les coups et il parvient à transmettre une énergie positive, relayée par l'optimisme de ses paroles relatant nombre des temps difficiles de sa vie: «I really think for once that I can change / It’s really not that bad / I’m learning now that I was wrong in everything / And that’s the reason why I think that I can grow». Le titre 'Permanent rain', déjà présent sur l'EP, se différenciait beaucoup des autres titres et a davantage sa place ici. On peut presque palper la sincérité du jeune songwriter (il n'a que 20 ans) quand il chante «I wish it was me in the car that day», la chanson traitant de la perte d'un de ses amis. Le chanteur base entièrement son songwriting sur son expérience et son passé, lui donnant une force émotionnelle énorme. Les paroles ne sont pas forcément profondes ou exceptionnelles, mais leur sincérité et la douce nostalgie dégagée par certains titres ('Reach for the sun') touchera chaque auditeur. Simple mais passionné. Le disque se termine brusquement sur un cri du cœur de Perdomo: «But it's worth it / To never feel alone», à la manière du personnage d'Emile Hirsch dans le film 'Into the wild'.

The Dangerous Summer nous offre un album solide et de qualité. Il n'est pas décousu avec un tube par-ci par-là, mais constant et consistant. Les chansons se ressemblent au premier abord et le disque nécessite ainsi plusieurs écoutes pour grandir en vous, mais elles en valent bien la peine une fois que vous y tendrez bien l'oreille.
Vrai et frais, débordant d'honnêteté, 'Reach for the sun' n'est pas «fun», il est bon et beau. Idéal pour l'été, vous ne le passerez cependant pas autour d'un barbecue avec vos copines au bronzage impeccable, mais plutôt dans votre voiture face au soleil couchant, à l'image de sa magnifique pochette. Dans un genre asphyxié par les groupes ne pensant qu'à faire la fête, un album facile à écouter tout en étant intelligent ne fera pas de mal aux ondes FM.

Recommandé si vous aimez:
The Starting Line, Valencia, Over It

Essayez aussi:
Dropout Year, Driving East, Parade The Day

www.myspace.com/dangeroussummer
(Hopeless Records, 2009)

lundi 25 mai 2009

The Audition - Self-titled album


Les outsiders alt-rock de The Audition reviennent un an seulement après la sortie de leur deuxième album 'Champion', avec une promo boostée par l'horripilante marque de fringues Glamour Kills (à qui l'on doit l'incroyablement créative pochette) et la présence de Mark Trombino (Blink-182, Finch, Jimmy Eat World) à la production.

Le premier bon point est l'amélioration du chant de Danny Stevens. Sa place de frontman lui sied désormais parfaitement, menant son groupe avec assurance aussi bien sur scène qu'en studio. Les notes sont tenues et sa voix possède un certain groove qu'il est difficile d'ignorer. Les tubes sont là aussi: 'My temperature is rising', le premier single branché sexy (il semblerait que ce soit une habitude, celui de l'album précédent étant nommé 'Warm me up') au beat dansant et au refrain accrocheur et le légèrement plus aggressif 'The running man'. Autre bon titre, 'Sign. Steal. Deliver.' clôture l'album sur une note plus originale, laissant les musiciens s'exprimer davantage.
Le reste est assez vite résumé. 'The way you move' sonne très rock des 90's, 'It's gonna be hard (When I'm gone)' est la ballade rock US typique entendue des centaines de fois tandis que 'Los Angeles' rappelle le modern rock de Taking Back Sunday. L'ensemble est catchy, upbeat, plus pop et bien produit. Trombino semble s'être concentré plus sur la qualité sonore du groupe que sur leur capacité à exploiter leur potentiel musical.

The Audition ont indéniablement quelque chose de différent de tous ces groupes sucrés estampillés Glamour Kills, ne s'enfermant pas dans un pop-punk facile, mais ne parviennent pas pour autant à s'extirper du lot. Lyricalement, ça reste médiocre et déjà vu. La plupart des titres possédant un fort côté «arena rock», il ne fait cependant pas de doute que 'Self-titled album' sera bien accueilli par ceux qui iront voir jouer le groupe.

Recommandé si vous aimez:
Sugarcult, The All-American Rejects, Taking Back Sunday

Essayez aussi:
Envy On The Coast, Tonight Is Goodbye, The Graduate

www.myspace.com/theaudition
(Victory Records, 2009)

mercredi 13 mai 2009

Closure In Moscow - First temple


Closure In Moscow est un jeune groupe australien formé en 2006 par cinq amis de Melbourne. Vite repérés par leurs pairs américains de Saosin pour qui ils ouvrent sur leur continent puis mis en avant dans le magazine Alternative Press, il n'en faut pas plus pour que le label Taperjean Records (Limbeck, As Tall As Lions, Copeland) les signe et leur permette de sortir leur premier EP début 2008, 'The penance and the patience', avant que le groupe ne soit récupéré après maintes déboires par les bien plus réputés boss d'Equal Vision aux États-Unis. Et ce n'est pas une surprise si Closure In Moscow se retrouve aujourd'hui sur le même label que Circa Survive ou The Fall Of Troy. Leur rock progressif et technique et la voix aiguë de leur chanteur Chris De Cinque ont tout pour plaire aux fans du genre.

Ils sortent ce mois-ci leur premier album, produit tout comme l'EP par Kris Crummett (Drop Dead, Gorgeous, Fear Before, Dance Gavin Dance). Un album attendu de pied ferme par ce qu'on pourrait appeler la «communauté Absolute Punk», tant 'The penance and the patience' avait démontré un important potentiel créatif.
Les plus enthousiastes ne devraient pas être déçus. 'First temple' reprend les mêmes éléments prog-rock et alt-rock, mêlant avec brio passages techniques et mélodies catchy. Alors que certains titres sont de vrais hymnes à la guitare électrique ('Afterbirth'), d'autres laissent le devant de la scène au chant subtil et haut perché de De Cinque, rappelant inévitablement celui de Cedric Bixler-Zavala de The Mars Volta ('Reindeer age'), quelques-uns possèdent un évident rythme jazzy ('A night at the spleen'), tandis que les derniers sonnent davantage rock alternatif mid-tempo à la Saosin ('Deluge'). Les attaques sont puissantes, les guitares couinent en véritables explosions sonores, rythmées par la technicité des riffs de Mansur Zennelli et Michael Barrett. Le plus bel exemple est celui en intro de 'Sweet#hart' qui figurera sans nul doute au classement des meilleurs riffs de l'année. Closure In Moscow ne s'enferment cependant pas dans un schéma de technique poussée à l'extrême, le déluge des guitares étant accompagné de soignés samples de teneurs différentes, parfois électro ('Kissing cousins'), parfois ambiants ('Permafrost') et le groupe a même recours à l'acoustique sur l'interlude 'Couldn't let you love me', tandis que certains riffs de 'Sweet#hart' et 'Arecibo message' rappellent des sonorités orientales.
Les titres se démarquant le plus sont malgré tout les plus énergiques, situés dans la première moitié de l'album. La seconde est plus sombre et mid-tempo à l'image de 'I'm a ghost in twilight', un des rares titres ne donnant pas envie d'appuyer sur «repeat». Les écueils sont donc largement évités et on ressort de 'First temple' avec une agréable sensation de ne pas avoir eu à subir l'écoute de titres déjà entendus une centaine de fois comme c'est trop souvent le cas avec les nouveaux groupes actuels.

C'est cette capacité à briser le modèle habituel de composition des titres et cet habile mélange de technique, mélodie et originalité qui pourra faire de Closure In Moscow un des groupes majeurs de la scène dans le futur proche. Pour l'instant, les Australiens viennent en tous cas de produire un des meilleurs premiers albums de 2009 à ce jour.

Recommandé si vous aimez:
Saosin, The Mars Volta, Coheed And Cambria

Essayez aussi:
Damiera, Secret And Whisper, In:Aviate

www.myspace.com/closureinmoscow
(Equal Vision Records, 2009)

vendredi 8 mai 2009

Gallows - Grey Britain


Lorsqu'un groupe fait part de son intention de sortir un «concept album», cela fait souvent grincer beaucoup de dents, notamment quand il a encore tout à prouver. C'est pourtant dans cette périlleuse aventure que se sont lancés les Anglais de Gallows pour leur second album.

Gallows, c'est le renouveau du punk anglais. Un point c'est tout. Après un premier album réussi sans être exceptionnel sorti sur In At The Deep End (UK) et Epitaph (US) en 2006, les cinq British se sont vus faire les yeux doux par les majors et c'est Warner Bros. qui a remporté les enchères avec un contrat à 1 million de livres sterling. En résulte donc 'Grey Britain', un second effort sous forme de «concept album» / lettre ouverte à leur pays.
Nous sommes d'entrée mis devant le fait accompli: «Grey Britain is burning down / We'll be buried alive, before we drown / The queen is dead, so is this ground [...] Set alight to the flag we used to fly / It can't help us now, we are ready... to die». Cette introduction, certes peu optimiste, ouvre le disque à la perfection. La Grande-Bretagne est à l'agonie et ils ne se gêneront pas pour cracher sur sa tombe.
Le quintet anglais fait preuve sur ce second album d'une ambition et d'une prise de risque peu comparable avec leurs débuts. 'Grey Britain' transcende 'Orchestra of wolves', le dépassant en tous points. L'évolution est frappante. Le groupe s'est tout simplement amélioré à tous les niveaux: chant, paroles, instruments. Les compositions sont beaucoup plus consistantes, l'ensemble plus solide, les amenant à expérimenter l'inclusion d'orchestrations, chose qu'on aurait eu du mal à imaginer à l'époque de leur premier opus, preuve de l'assurance et la confiance acquise par le groupe. Ils sont allés loin, sans pour autant se perdre.

Les cinq potes de Hertfordshire sont, à l’image des bêtes sur la pochette de leur premier album, de véritables chiens enragés, leur charismatique frontman Frank Carter vous crachant à la figure ses sinistres lignes avec une furie rare. ‘Grey Britain’ est une vraie claque. Un pavé dans la marre du monde musical et dans la plus haute fenêtre du palais de Buckingham.
Le mot d’ordre est simple: «Britain is fucked». Pas besoin de traduction. L'album aborde avec virulence les différents problèmes, éternels mais actuels, de la Grande-Bretagne au niveau social, politique et économique. Les messages sont clairs, sans équivoque ni compromis: leur pays est en pleine décadence, pire, en totale décrépitude et ils sont légèrement «pissed off» à ce sujet. Énervé, brutal, le groupe enchaîne les accusations assassines contre ceux ayant mené leur nation à la dérive, la sphère religieuse et ses excès n'étant pas épargnés ('Leeches'). Le disque pue la sueur et le sang. La violence et l'honneur. Les rats et la misère. Les gangs de rue et les églises en flammes. «Everything is falling apart».
Le groupe fait preuve d’une sauvagerie folle tout en conservant cette inimitable classe anglaise. L’accent «so British» est délicieux, pourtant noyé dans les vociférations d’un impressionnant Frank Carter. Le jeune chien fou qu’il était il y a trois ans a pris de la gueule, beaucoup de gueule. Sa voix a énormément évolué, encore plus rude et éraillée qu’avant. Il beugle en permanence, même sur les courts passages parlés (à l'exception de la première partie de 'Vultures (Act I & II)'), il crache ses mots comme s’il portait le poids du monde sur ses épaules, avec une conviction et une détermination effrayante. Le jeune tatoueur chante avec ses tripes, à la limite du râle, ce qui va parfaitement de paire avec son écriture qui a elle aussi bien mûri. Viscérale, sombre, dangereuse, elle peint un tableau de la Grande Bretagne moderne fait de gris et rien d’autre, lui donnant une image presque moyenâgeuse. Le groupe a filmé une fiction d'une demi-heure pour illustrer l’album et on ne peut qu’approuver l’idée tant l’écriture de Carter est explicite, presque cinématographique. Elle donne une ambiance apocalyptique à l’ensemble du disque, renforcée par les différents samples de sons divers (corbeaux, cloches, vagues, train, alarme) ainsi que l’intro et la conclusion sous forme de bande originale de film.

Dramatique, lugubre, crasseux mais incroyablement réussi. La noirceur générale, qu'on retrouve aussi instrumentalement dans les lignes de basse, lourdes et sombres, de Stuart Gili-Ross ('I dread the night'), n'étouffe pas pour autant le disque. 'Vultures (Act I & II)' voit le groupe prendre un chemin nouveau sur sa première moitié, où la voix rauque de Frank Carter laisse place à un chant étonnamment doux et juste parfaitement adapté à la guitare acoustique l'accompagnant. La fureur n'est cependant pas loin, l'autre moitié du titre faisant la part belle aux puissantes instrumentations des quatre autres. Les guitares hurlent et la batterie est précise, les cymbales valsent, giflées par l'ardeur de Lee Barratt. Il ne faut de même pas se fier à le mélodie de l'intro voix/batterie presque enjouée de 'Black eyes', ce titre étant un des plus heavy du disque. Les riffs de Stephen Carter et Laurent Barnard sont démentiels, on croirait entendre du Have Heart sur 'The riverbed'. Et à écouter les paroles, les similitudes ne s'arrêtent pas là: «We are the brothers, in my brothers I trust». Le quintet est en effet plus hardcore que jamais, maîtrisant parfaitement gang vocals intenses ('London is the reason') et breakdowns déchirants (l'énorme 'Misery'). Et si ce 'Grey Britain', loin d'être un 'Orchestra of wolves' 2, tend vers un hardcore à dépasser les frontières, certains titres témoignent du côté plus punk de sous-sol de leurs débuts, à l'image de 'Leeches' et 'The great forgiver'. Cet album est juste la fusion parfaite du punk et du hardcore, à la fois terriblement heavy et diablement énergique.
Et comment ne pas parler du dernier titre, 'Crucifucks', véritable hymne apocalyptique clôturant ce disque brûlot en épouvante totale. À grand renfort de métaphores animales, Carter passe en revue les bourreaux du prestigieux Londres achevant les populations martyrs («The snakes get fat while the good rats die [...] It's time for us to take a stand / We are dying on our knees in this grey broken land») pour finalement avouer, haletant, la responsabilité de tous dans le désastre sur fond de tambours militaires: «There ain't no glory and there ain't no hope / We will hang ourselves, just show us the rope / There ain't no scapegoats left to blame / We brought this on ourselves and we could have been the change / Great Britain is fucking dead / So cut our throats, end our lives, lets fucking start again». Suivent alors plusieurs minutes entièrement instrumentales, nous laissant admirer le navire couler, encore tout retournés par ce que l'on vient d'entendre. Si le xylophone peut paraître inadapté, le piano et les violons, eux, sont à couper le souffle et cristallisent à merveille la désolation finale. Une conclusion épique digne de ce nom.

Gallows n’était auparavant qu’un simple groupe punk-hardcore parmi tant d’autres, mais avec ‘Grey Britain’ ils s’élèvent au rang de nouvelle tête de file du mouvement, accomplissant ce que certains essayent de faire depuis dix ans. Le passage en major ne fut pas une erreur, bien au contraire. Selon Frank Carter, c'est plutôt son groupe lui-même qui est «la plus grosse erreur de l'industrie musicale». Lui qui prétendait il y a peu que Gallows n'était pas sa vie, lui, l'artiste tatoueur. «Gallows ne durera pas cinq ans», avait-il dit. Nous verrons bien, mais en entendant il risque d'y consacrer ses prochains mois, les tournées s'enchaîneront à n'en pas douter tout autour du globe.
L'Angleterre peut être fière de ses cinq sales gosses, désormais plus «sales» que «gosses». La hargne et l'application prodigieuses dont Gallows fait preuve ne fait que redonner à leur pays ses lettres de noblesse. Sur un plan purement punk, bien entendu.

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The Ghost Of A Thousand, Blackhole, Dead Swans

www.myspace.com/gallows
(Reprise Records, 2009)