vendredi 27 février 2009

Thursday - Common Existence


Depuis de nombreuses années, Thursday vivent dans l'ombre d'une scène qu'ils ont en partie bâtie. Le sextet du New Jersey, sans pour autant être laissé pour compte, a tout de même souffert au long de sa carrière d'un manque certain de considération. Une reconnaissance qui lui est due, quoiqu'en disent certains. Thursday ne sont ni Quicksand, ni Far mais la scène alternative rock et post-hardcore actuelle serait bien moins florissante sans Full Collapse et War All The Time.
Ce mois-ci sort Common Existence, le cinquième album du groupe, qui a choisi (sous la contrainte de l'échec de leur contrat en major) Epitaph comme nouvelle maison. Un album moins attendu, tant les déçus furent nombreux à la sortie de A City By The Light Divided en 2006. La production très propre, le travail mélodique, les passages ambiants et le manque d'agressivité du disque ont fait perdre à Thursday nombre de leurs admirateurs des débuts. Un split avec le groupe screamo/post-rock japonais Envy sorti l'an passé a cependant ravivé l'espoir de certains en étonnant par la verve de ses morceaux.

Alors qu'attendre de ce nouvel opus, produit comme son prédécesseur par Dave Fridmann (The Flaming Lips, Clap Your Hands Say Yeah, MGMT)? Le premier titre, "Resuscitation Of A Dead Man", est, comme c'est le cas sur chacune des sorties de Thursday, un des plus puissants du disque. C'est aussi le premier single mais on est à mille lieues de "Counting 5-4-3-2-1", beaucoup plus «easy-listening». La présence de Tim McIlrath (Rise Against) est à peine audible et pour cause : les riffs rageurs, la batterie qui cogne, loin du son «boîte à rythmes» de nombreux jeunes groupes et la performance vocale mi-chantée, mi-criée de Geoff Rickly, sincère et désespérée, prennent aux tripes. Si les paroles sont loin d'être grandioses à l'inverse de certaines des titres suivants, on leur en tient peu rigueur tant l'impression sonore est forte.
Toute la première partie de l'album reste dans cette urgence et cette agressivité, avec de véritables explosions de son. "Last Call" sonne comme du Thursday classique, chaotique mais entrecoupé de passages calmes pour se terminer en bande-originale de fin du monde comme le groupe sait si bien le faire. "Friends In The Armed Forces", une des meilleures chansons du disque, possède un fort intérêt lyrical et traite comme son nom l'indique de la guerre. Plus précisément, c'est la relation peu évidente de Geoff avec un ami enrôlé dans le conflit en Irak qui en est le sujet, ou comment ne pas encourager les efforts d'une personne qu'on soutient parce qu'elle nous est chère. «En fin de compte, la chanson est un vœu de paix et de bien-être pour mes amis», a expliqué le parolier dans une interview. Lyricalement et musicalement, c'est grandiose. La voix de Geoff se dresse au-dessus des guitares, nerveuses et tortueuses. Cette impression de distance dans le chant est toujours présente, comme s'il s'en allait puis revenait en permanence. Mais si le chanteur s'égosille davantage sur cet album, les cris restent parsemés, parfois trop propres et aucun passage n'est hurlé comme c'était le cas sur Full Collapse. Pour l'anecdote, "Friends In The Armed Forces" comporte une participation vocale de Walter Schreifels, figure emblématique du hardcore et du post-hardcore ayant fait partie de Youth Of Today, Gorilla Biscuits, Quicksand ou encore Rival Schools et aujourd'hui producteur.

La seconde partie de l'album est en deçà de la première et comporte la totalité des titres plus expérimentaux. "Beyond The Visible Spectrum" démarre avec un solo de batterie accrocheur et un sample de cordes vite absorbés par la furie des guitares. "Circuits Of Fever" est le titre le plus aérien de l'album et aurait aisément pu figurer sur A City By The Light Divided, tandis que "Subway Funeral" fait penser aux inédits du CD/DVD live Kill The House Lights.
Les deux ballades du disque se ressemblent musicalement et ont pourtant un impact bien différent. "Time's Arrow" est un morceau planant à hanter les esprits qui laisse la part belle au clavier d'Andrew Everding, où la voix de Geoff résonne comme tout droit sortie d'une boîte à musique. "Love Has Led Us Astray", ballade froide et subtile, est un morceau beaucoup plus intéressant par son rôle de superbe préambule au brûlot qui clôture l'album.
Ce dernier titre, "You Were The Cancer", est aussi puissant que le tout premier et certainement un des plus intenses de toute la discographie de Thursday. Le synthé électrise l'atmosphère, le chant de Geoff nous porte, lancinant et glacial, vite rejoint par le roulement de la batterie qui indique que le déluge n'est pas loin. Et en effet, les guitares apparaissent, tonitruantes, menant vite au refrain, passionné et tranchant. Un peu comme sur "Lovesong Writer", on sent le ciel se couvrir avant que la tempête n'arrive et l'orage n'en est que plus jubilatoire.
L'album se termine comme il a commencé, dans l'urgence. Une urgence constante qui caractérise le groupe. Mais au-delà de l'intensité de leurs tubes post-hardcore et de la perfection des performances de leur chanteur (sans aucun doute un des meilleurs du genre), Thursday expérimentent des sons, créant des textures, des sensations, incluant des signaux de danger subtils avant chaque chaos, emmenant l'auditeur au plus haut avant de le projeter vers le sol à toute vitesse.

Malgré un petit moins au niveau de la production (on a le sentiment que le son aurait pu être encore plus explosif, notamment sur les reprises après les breaks et sur le volume du chant) et un léger affaiblissement au milieu du disque, Common Existence est un album solide et consistant. Plusieurs écoutes sont nécessaires mais on se rend compte que l'ensemble sonne juste naturel et progressif, sans calculs ou éléments douteux. Le groupe conserve son identité en parvenant à se démarquer de ses pâles imitateurs. Ce qui sépare le sextet de ses descendants, c'est cette capacité d'évoluer et d'explorer de nouvelles sonorités et de nouvelles complexités.
Douze ans après leur formation et (à une exception près) toujours avec le même line-up, Thursday continuent leur chemin au milieu de la solitude, du chaos, de la guerre et de l'hécatombe d'un pas désespéré mais solide, seuls, comme isolés au sein de la scène qu'ils ont largement contribué à créer.

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Thrice, Glassjaw, Alexisonfire

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www.myspace.com/thursday
(Epitaph Records, 2009)