Saves The Day et Say Anything sont deux des groupes les plus respectés de la scène alternative rock, les premiers étant presque des vétérans du genre tandis que les seconds constituent la relève avec en tête de cortège leur frontman torturé et charismatique, Max Bemis. Normal a priori que celui-ci adule son prédécesseur Chris Conley, talentueux songwriter de Saves The Day. Plus étonnante est l’amitié entre ces deux icônes des temps modernes. C’est l’adoration de Bemis pour Conley qui en est à l’origine. Leur première collaboration date de 2006 à l’occasion d’un album de reprises hommage à Bob Dylan sorti par le label Doghouse, ‘Paupers, peasants, princes and kings’. A suivi une tournée commune entre leurs deux groupes, permettant à Bemis de passer du statut de fan absolu à celui d’ami proche de Conley. Quand le premier avança l’idée d’une collaboration plus poussée, la réponse du second ne tarda pas, affirmant «qu’il ne le ferait avec personne d’autre». Le résultat a été attendu plus qu’impatiemment par les aficionados de la scène et malheureusement il n’est pas tel qu’on l’avait rêvé.
Ce résultat, c’est Two Tongues: Max Bemis et Chris Conley au chant, à la guitare, au clavier et aux paroles, Dave Soloway (ex-Saves The Day depuis quelques semaines) à la basse et Coby Linder (Say Anything) à la batterie. Il est normal de s’attendre au meilleur avec un tel line-up, surtout au niveau des lyrics et du chant, la voix haut-perchée de Chris ayant remarquablement fait ses preuves une fois associée à celle, rauque et vibrante, de Max sur le titre ‘Sorry dudes, my bad’ de Say Anything il ya deux ans. Ce mariage vocal contrasté et savoureux porte ses plus beaux fruits sur le début du disque. Les premières secondes de ‘Crawl’ et son puissant refrain digne de ceux de ‘In defense of the genre’ ne laissent présager que le meilleur. ‘If I could make you do things’, plus rock, tend davantage vers Saves The Day et le va-et-vient entre le chant presque féminin de Chris et celui, sauvage, de Max offre une bonne rythmique à l’ensemble. ‘Dead lizard’ est également très réussie, ses riffs de guitare à la ‘Sound the alarm’ rappelant un ‘The artist in the ambulance’ (Thrice) pop.
Cet excellent enchaînement de titres poppy et upbeat est rompu par un interlude chanté par Sherri DuPree d’Eisley (future épouse de Max Bemis et qui a aussi réalisé la pochette de l’album) pour poser une ambiance beaucoup plus sombre. Ce n’est pas gênant tout de suite, ‘Tremors’ étant dans la veine des ballades de ‘In defense of the genre’. Certains trouveront la chanson insipide et son chant trop pleurnichard, mais elle reste hyper efficace. Cependant, le niveau des titres suivants est bien en dessous de celui du début du disque et ils sont malheureusement loin d’être mémorables. Les hauts espoirs apportés par la première partie de l'album font de la seconde une réelle déception. Plusieurs d’entre eux sont franchement ennuyeux et manquent sérieusement d’énergie. L’enjoué ‘Come on’ a certes du rythme mais se répète terriblement, le chant du duo sur le maladroit ‘Alice’ manque d'enthousiasme et ‘Try not to save me’ sonne comme une b-side très moyenne de Saves The Day.
‘Back against the wall’ incarne toute la frustration ressentie à l’écoute de ce disque. Il aurait pu et dû être un des meilleurs de l’année, tellement le potentiel créatif de ses deux phénoménaux songwriters est énorme. Et pourtant, alors qu’on attend de Bemis et Conley qu'ils montrent leur supériorité sur le reste de la scène et qu'ils s’imposent définitivement en rois de l’alternative rock d’aujourd’hui, ils préfèrent nous servir un titre étrangement funk avec des sons de synthé tout vilains et un riff guitare/basse principal qui a mal vieilli. C'est mou à mourir et le refrain est aussi vide qu'un circle pit à un concert des Jonas Brothers. On a envie de les secouer et de leur demander d’être sérieux deux minutes: vous pouvez faire tellement mieux, les mecs! L’ensemble du disque est très rock uptempo, avec des passages rappelant tantôt The Replacements et Minutemen, tantôt Hüsker Dü et Fugazi. ‘Don’t you want to come home’ sonne très rock des 90’s, à l’image de la majorité des riffs de l’album s’inscrivant davantage dans l’alt-rock d’il y a dix ans que dans celui d’aujourd’hui, plus proches de The Hold Steady que de Taking Back Sunday. La voix de Conley étant déjà à la limite de l'inécoutable pour ceux n'appréciant pas son timbre aigu, les effets sur sa voix sur les couplets les rendent difficilement supportables. La toute fin de l’album est encore plus décevante, le dernier titre étant une faible et inutile reprise du groupe Ween où Bemis semble totalement hors contexte, une bien mauvaise façon de clôturer le disque. L’exception dans cette décadence est la très réussie ‘Wowee zowee’ avec ses accords catchy, sa basse qui gronde et son excellent refrain appelant au sing-along, délicieux va-et-vient entre les aboiements graves de Bemis et les plaintes aiguës de Conley.
On termine donc l'écoute de ce premier album éponyme (le quatuor a affirmé que Two Tongues durerait plus d'un disque) avec une légère amertume et une certaine déception. Certains éléments que l'on attendait à l'annonce d'une telle collaboration sont bien là: le tandem vocal Bemis/Conley fonctionne parfaitement, c'est un plaisir d'écouter le contraste tranchant entre les deux chanteurs. Qu'ils incarnent le même personnage ('Try not to save me') ou, plus généralement, qu'ils s'adressent l'un à l'autre en tant qu'amants ('Zowee wowee') ou amis ('Silly game'), la voix suave de Chris et celle, puissante, de Max s'accordent à merveille. On est par contre parfois surpris d'entendre ce dernier et sa voix profonde que l'on connaît chantant des hymnes narcissiques et tourmentés nous réciter des lyrics beaucoup plus impersonnels, voire bateaux. C'est un des aspects les plus décevants du disque: alors que Say Anything et Saves The Day excellent lyricallement, Two Tongues se contente de paroles d'une banalité surprenante. On reconnaît pourtant la patte des deux groupes au niveau musical, Conley et Soloway apportant le côté le plus sombre de leur groupe, Bemis et Linder le plus rock brut du leur. Les compères l'avaient annoncé, il ne fallait pas s'attendre à un mélange de '...Is a real boy' et 'Through being cool' mais plutôt à «'In defense of the genre' rencontre 'Sound the alarm'». Mais cette rencontre faillit sur la seconde partie du disque qui manque cruellement d'énergie et l'album paraît avoir été réalisé trop vite, sa sortie initiale ayant pourtant été fixée à l'été dernier. La moitié des titres auraient été suffisants pour faire un très bon EP qui aurait été bien mieux reçu par les critiques.
'Two Tongues' n'est pas pour autant mauvais, loin de là, c'est un bon disque en lui-même, un début solide pour n'importe quel groupe inconnu, mais une légère douche froide pour tous ceux qui espéraient un chef-d'œuvre à la hauteur de la réputation de ses créateurs. Les «all-star bands» finissent toujours par rester dans l'ombre des groupes initiaux de leurs fondateurs et Two Tongues ne fera pas exception. Cet album ne parvient pas à hisser le quatuor à un niveau équivalent à celui de Saves The Day et Say Anything, ne faisant figure que de simple side-project à côté de ceux-ci. Il ne constituera ainsi ni plus ni moins qu'un entracte sympathique pour faire patienter les fans avant les nouveaux albums des deux poids lourds du genre.
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