mardi 2 juin 2009

Enter Shikari - Common dreads


Passez-vous la dernière chanson de 'Take to the skies', premier album d'Enter Shikari, puis lancez la première de celui-ci. Il commence exactement là où son prédécesseur s'est arrêté. Pourtant, les deux sont bien différents et les quatre Anglais de St. Albans ont énormément évolué. Ce n'est pas étonnant lorsque l'on sait que les chansons ayant fait le succès du groupe ont été écrites il y a déjà de ça plusieurs années. 'Sorry, you're not a winner', par exemple, leur tube par excellence, date à l'origine de 2003. Cela fait bien longtemps que le quatuor du Hertfordshire sillonne les routes sans discontinuer et il n'est pas né avec 'Take to the skies'. Preuve en est qu'Enter Shikari fut en 2006 le second groupe de toute l'histoire à remplir l'Astoria de Londres sans même être signés sur un label, avant même de sortir un album (est-il encore utile de signaler qu'il est indispensable de les voir en live?).

C'est donc avec impatience que leur large fanbase a attendu ce 'Common dreads' qui allait les fixer sur l'avenir de leur groupe fétiche. Et celui-ci risque d'être prometteur. Pourtant, Enter Shikari n'a pas choisi la facilité. 'Common dreads' vous surprendra, comme 'Take to the skies' avait surpris à sa sortie. Et peut-être même davantage. Avec leur second album, eux qui étaient déjà à l'écart de la scène alternative rock britannique, préférant jouer des sets en tant que DJ's dans des petits clubs et amener les groupes de leurs potes en tournée plutôt que de remplir des stades en ouvrant pour Lostprophets ou Funeral For A Friend, s'éloignent un peu plus encore des étiquettes et modes actuelles. Ces sessions de mix ont justement eu un énorme impact sur le travail du groupe. Si on connaissait leur fort penchant pour la trance, les éléments électro restaient jusqu'ici au second plan dans les compositions, donnant parfois du rythme, parfois une intro et sonnant parfois trop «Nintendo», ce qui n'est plus du tout le cas (à l'exception de quelques notes sur 'The hectic'). Ils sont aujourd'hui totalement intégrés au son de Shikari, construisant les mélodies par eux-mêmes, devenant la pièce maîtresse de l'ambitieux jeu du quatuor. Les interludes sont beaucoup plus consistants et intéressants, à la limite de la chanson à part entière. Le clavier prend des dimensions nouvelles et bien plus originales que par le passé, souvent joué tout seul, créant tantôt de véritables hymnes drum 'n' bass pour le dancefloor ('Zzzonked', 'The jester'), tantôt des breaks dubstep ('Havoc A', 'Havoc B') et même des beats dance pour les clubs ('Gap in the fence'). La fine équipe brouille toujours plus les pistes. On passe même par une intro jazzy à la flûte sur 'The jester' et des instrumentations de cuivres et de cordes sur 'Fanfare for the conscious man'. On retrouve cependant quelques éléments qui ont fait le succès de 'Take to the skies', avec des titres mêlant clavier entêtant, riffs à la limite du metal et courts gang vocals comme 'No sssweat'. Ils ont ici pour titre 'Step up' ou 'Antwerpen'. Mais le titre le plus fort est peut-être 'Solidarity', qui joue son rôle d'ouvreur à la perfection, son synthé psychédélique vite rejoint par une batterie lourde et de puissantes guitares faisant de lui une turie instantanée. Shikari laissent également et plus que jamais admirer leur talent pour la mélodie, le single 'Juggernauts' est lui aussi un tube et 'No sleep tonight', le titre le plus pop et léger du disque, rassemblera sans aucun doute les foules.
Mais que serait Enter Shikari sans les mémorables performances vocales de son frontman Roughton Reynolds? Bien qu'on se réjouit des interventions plus fréquentes du guitariste Liam Clewlow (dit Rory) et surtout du bassiste Chris Batten, la voix de Rou porte littéralement la formation. Il oscille avec toujours autant de facilité entre de multiples types de chants, atteint désormais avec une justesse parfaite des notes assez hautes, mais ne crie plus au sens «screamo» du terme, préférant scander ou hurler ses lignes les plus incontournables. A l'inverse, il a ajouté une nouvelle corde (vocale) à son arc, le spoken word en l'occurrence. Vous ne pourrez pas ne pas penser à The Streets en écoutant son délicieux accent anglais sur les passages parlés. Ces derniers donnent plus de texture à ses textes qui méritent bien cette mise en avant. En effet et peut-être à la surprise de beaucoup, 'Common dreads' est un album politisé de bout en bout. Enter Shikari a pourtant toujours été un groupe engagé, que ce soit dans ses lyrics (un des morceaux du premier album traitait par exemple du commerce équitable) ou dans sa fidélité à l'éthique Do It Yourself. C'est aujourd'hui une évidence à la lecture des paroles des chansons qui composent ce disque. A l'instar des Gallows et leur 'Grey Britain', Rou et sa bande produisent avec 'Common dreads' une virulente déclaration à leur pays et aux grands de ce monde, utilisant même à leur tour la métaphore du serpent sur 'Havoc A': «The lions are at the door, we ain't takin' orders from snakes no more». Les rats de Frank Carter sont ici des lions, l'écriture de Rou étant beaucoup plus optimiste et tournée vers l'avenir. Dans cette période d'idolâtrie pour le changement, le groupe démontre toute sa conscience humaine et politique et appelle au réveil des idées et des mobilisations populaires. Les attaques à la société de consommation («Constantly relying on consuming to feel content / But only because we lost such with this home that we’ve spent / Trillions of dollars training for our wants and not our needs / And now we’re growing tired of planting bleary-eyed seeds») et les espoirs de rassemblement peuvent paraître naïfs mais sont judicieusement envoyés. Le disque embrasse des valeurs de communauté, d'engagement et d'action. Enter Shikari ne propose rien de nouveau mais le message est plein d'intérêt, de conviction et d'esprit.

Les quatre Anglais ont trouvé leur son avec 'Common dreads'. Un son plus mature et défini. Leur mélange des genres et leur maîtrise des compositions sont déconcertants. Écoutez le début des chansons, puis écoutez en suivant leur fin et l'habileté avec laquelle ils se baladent musicalement vous sautera aux oreilles. Il n'y a guère d'équivalent à ce que fait le quatuor à ce jour, les comparaisons avec tous les groupes MySpace screamo/electro/vomito (Attack Attack! et consorts) ou Nintendocore (HORSE The Band en tête) s'avérant complétement faussées. Pour rester 100% British dans les comparaisons, disons qu'Enter Shikari désormais, c'est une rave party dans une cave avec The Prodigy, The Streets et Gallows. Ils créent de véritables chansons à l'intérieur même des morceaux et le tout sans se répéter de l'un à l'autre. Les défauts sont peu nombreux, même les titres calmes qui étaient le gros point négatif de 'Take to the skies' sont ici mûrs et subtils. 'Wall' démarre comme une ballade sombre et juste quand vous commencez à penser que le titre va devenir ennuyeux, un superbe refrain enjoué vient redonner de la vie et transformer la chanson.
Il n'y a ainsi pas de grands reproches à faire sur cet album, même s'il décevra sans doute les plus amoureux du mosh pit. Les concerts seront moins violents au son de ces nouveaux titres, plus calibrés pour être écoutés au volume maximum dans votre voiture. Il est malgré tout évident que le groupe conserve cette aptitude à rassembler les foules, la phrase d'introduction de Rou sur le premier titre résumant bien cette idée: «Here tonight, I clock a thousand heads / Here to unite, through common dreads». La hype terminée, Enter Shikari s'est débarrassé du mauvais pour ne garder que le meilleur. Les scene kids s'éloigneront, mais une génération entière pourra se reconnaître dans cet album, comme une génération entière pourra vibrer au son de ces titres en live.

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www.myspace.com/entershikari
(Ambush Reality, 2009)